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Kyudo

Un homme qui désirait étudier le Kyudo se mit en route pour un village lointain afin d'y rencontrer un grand maître qui vivait là-bas. Lorsqu'il arriva à la maison du maître, il demanda à être accepté comme élève.

- Je ne puis rien vous apprendre, dit le maître, à moins que vous ne puissiez voir convenablement.
- Mais, maître, mes yeux sont excellents.
- Je suppose que vous pouvez voir cette araignée qui grimpe sur la barrière du jardin dit le maître.
- Naturellement dit l'homme, je puis la voir tout clairement.
- Alors, demanda le maître, voyez-vous nettement les taches qu'elle a sur le corps ?
- Des taches ? demanda l'homme, sceptique. A cette distance, je ne puis voir aucune tache.
- Alors revenez quand vous le pourrez, dit le maître.

L'homme fut désapointé; il désirait vraiment commencer à apprendre le Kyudo, mais il savait bien que le maître ne lui donnerait aucun enseignement s'il ne faisait pas ce qu'il lui avait dit. Il retourna chez lui. Là, il attrapa une petite mouche, l'attacha à un fil et la suspendit à sa fenêtre. Jour après jour, il fixait la mouche pour tenter de la faire grandir à ses yeux. Il esseya tout. Il regarda la mouche avec les yeux grands ouverts, il essaya de cligner ou de fermer un oeil. Il essaya même de regarder la mouche en louchant. Mais rien n'y fit. La mouche ressemblait toujours à la petite tache noire qu'elle était quand il la suspendit pour la première fois à la fenêtre. Finalement, il renonça et se rendit chez le maître pour demande de l'aide.

- Le secret dit le maître, n'est pas de regarder la chose avec vos yeux mais de la voir mentalement.

L'homme ne comprit pas vraiment le sens des paroles du maître, mais il rentra chez lui et essaya de faire comme on lui avait dit. Au début, rien ne changea. Mais peu à peu, il commença à voir la mouche d'une façon de plus en plus détaillée. En fait, elle lui semblait devenir plus grosse. Pour finir, il fut capable de discerner les ailes, les yeux et même les poils qu'elle avait sur le corps. C'était comme si la mouche était juste devant lui. Quant il fut sur de lui, il s'en alla revoir le maître.

- Je peux compter les taches sur le corps de l'araignée dit l'homme.

Le maître approuva de la tête puis tendit à l'homme un arc et des flèches. Il désigna un prunier éloigné et dit à l'homme de tirer sur le fruit qui pendait le plus bas.

- Mais je n'ai jamais touché un arc jusqu'ici ; je ne vais jamais pouvoir atteindre le fruit, dit l'homme.
- Vous avez appris tout ce qui était nécessaire, répondit le maître. Travaillez avec votre esprit et vous ne raterez pas.

L'homme tendit l'arc, attendit tranquillement que la prune grossit. Quand il lui sembla que la prune était tout près et qu'elle touchait la pointe de sa flèche, il décocha. Un instant plus tard, il constata avec stupéfaction que la flèche avait traversé la prune en plein centre. Il tira encore et encore, chaque fois avec le même résultat.

 

Le thé du Maître

Il y avait dans la Province de Buzen, un moine très zélé qui étudiait le Zen depuis plusieurs années. Un jour, son Maître lui recommanda d'aller poursuivre sa formation à la maison mère. Le moine prit congé de son Supérieur et se rendit au monastère. Le Supérieur de la maison-mère après la lecture de la lettre de recommandation lui dit :"Gardez vous de tout sentiment personnel et de toute affectivité dans vos rapports avec moi. Vous serez chargé, dans ce monastère, de préparer mon thé. Ce sera là votre unique occupation, si vous ne l'accomplissez pas à ma convenance, je vous chasserai !". Et il le congédia d'un geste de la main.

Il commença donc aussitôt ses nouvelles fonctions. Il restait nuit et jour dans l'ombre du Maître. Dès que celui-ci prononçait ce seul mot : tcha (le thé), il se précipitait pour lui offrir le bol fumant. Les semaines, puis les mois passèrent et le Maître ne lui adressa plus une seule fois la parole, sinon pour réclamer son thé. Un geste, un claquement de doigts et le disciple était déjà là avec son bol. Bientôt, il ne fut plus besoin de lui rien dire. Il savait quelle était la variété préférée de son Maître suivant la saison et l'heure de la journée, il savait présenter le bol avec une humilité pleine de noblesse.

Au bout de deux ans, il était arrivé à savoir le moment où son Maître désirait boire son thé sans que celui-ci ait désormais besoin de faire le moindre geste. Il entrait silencieusement, il s'agenouillait sur les tatamis juste à la seconde où le Maître pensait qu'il voulait du thé et présentait le bol suivant le cérémoniel le plus strict.

Au bout de quatre ans, il avait acquis une véritable maîtrise dans la préparation du thé. Il savait exactement juger au bruit le degré précis d'ébullition de l'eau. Personne ne savait faire le thé comme lui. D'autres moines, des visiteurs venaient lui demander de leur en préparer un bol. Il acceptait toujours de bonne grâce, avec gentillesse et humilité se bornant à répondre à leurs questions par quelques mots : "je ne suis qu'un pauvre serviteur", "je ne suis pas capable de donner le moindre conseil ..", les gens repartaient réconfortés par sa présence et par ce bol de thé qu'il leur offrait de toute son âme.

Il était maintenant depuis six ans dans ce monastère et le Maître ne lui avait toujours pas adressé la moindre parole. Plus le temps passait et plus il avait l'impression qu'il ignorait totalement sa présence. Au début, au moins, il y avait parfois un geste de mauvaise humeur, de réprimande si le thé était trop chaud ou trop froid ou mal servi. Maintenant il n'y avait plus cela et le moine en venait à vouloir essayer de mal faire le thé exprès, pour provoquer de nouveau ces gestes de mécontentement qui étaient au moins une preuve de son existence aux yeux du Maître. Mais voilà qu'il s'aperçut qu'il nétait plus capable de mal faire le thé. En réalité, il s'apercevait qu'il ne "faisait" plus le thé, mais que lorsque le moment venait, une force intérieur l'habitait et qu'il était le thé lui-même.

Quatre nouvelles années passèrent. Il savait non seulement le moment, de jour ou de nuit, où il devait servir son Maître, la qualité de thé qui convenait à ce moment, la qualité de l'eau et sa température idéale et aussi dans quel bol il convenait de l'offrir. Mais le Maître ne parlait toujours pas. Il ne le regardait même plus. Il y avait dix années que cette vie durait et le moine vit à nouveau arriver l'automne et le jour du dixième anniversaire de sa propre venue au monastère. Ce jour-là, en se levant le matin, il prit la résolution farouche de parler au Maître.

Il entra dans la pièce, salua, présenta le bol et, juste au moment où il allait ouvrir la bouche pour parler, sa résolution le quitta. Sa volonté s'effronda pendant qu'il saisit toute l'absurdité de ce qu'il allait dire. "Comment pourrais-je parler ainsi au Maître ?" pensait-il. Il allait se retirer, comme il le faisait tous les jours, sans rien dire, lorsque la voix du Maître le cloua sur place :

"Moine stupide, qu'as tu donc aujourd'hui ?"
- Mais rien, Maître, je n'ai rien.
- Il y a quelque chose. Tu ne m'as pas servi le thé comme d'habitude? Tu as eu un geste d'hésitation en me tendant le bol. Je t'ordonne de m'en donenr les raisons.
- Eh bien, Maître, puisque vous me l'ordonnez ... C'est aujourd'hui le dixième anniversaire de mon arriéve chez vous et j'avais pensé stupidement que je devrais vous parler ... Mais c'est sans importance ...
- Tu voulais sans doute me dire que tu étais venu pour suivre mon enseignement et que, comme je ne t'ai pas adressé la parole depuis dix ans, tu désirerais que je mette enfin au travail. Est-ce vrai ?
- C'est bien un peu ce que j'avais pensé, Maître, mais j'étais tout à fait stupide et ...

- Hors d'ici, tonna le Maître. Va faire tes paquets. Tu ne resteras pas une minute de plus dans ce monastère !"

Le pauvre moine désespéré se jeta aux pieds de son Maître, pleura, supplia.

- Rien à faire, dit le Maître, ma décision est irrévocable. Quand tu auras fait tes paquets, je t'autorise à venir me dire au revoir, avant de disparaitre à jamais de ma vue.

La mort dans l'âme, le moine alla revêtir la robe de voyage qu'il portait dix ans plus tôt. Il rassembla ses affaires - deux livres de prière, un rasoir, les bols de laque enveloppés dans leur tissu noir - puis en sanglotant il retourna faire ses adieux au Maître.

Celui-ci le dos tourné écrivait. Le moine fit une dernière tentative. Pas de réponse, le Maître continuait à écrire. Lorsqu'il eut fini, il se retourna enfin :
"Voici dit-il, une lettre par laquelle je te nomme Supérieur de notre monastère annexe de la montagne".
- Maître, ce monastère de la montagne compte au moins quarante moines tous anciens, expérimentés. Comment pourrais-je être leur Supérieur, moi qui ai passé dix années à préparer le thé au lieu de me consacrer à l'étude ?

- Le thé était ton étude. Tu croyais préparer un bol de thé, mais tu te préparais toi-même à acquérir la vraie connaissance. Maintenant, tu as parcouru à travers ces humbles gestes toutes les étapes qui mènent à la réalisation de ta véritable nature. J'ai observé ta progression et je sais que tu es capable d'aider les autres à parvenir au même point. C'est pourquoi je t'ai nommé Supérieur."

On dit que ce moine fut le meilleur Supérieur qu'ait jamais eu le monastère de la montagne. Il vécut très agé. Sa réputation de sainteté s'étendait à toute la province. Il ne parlait presque pas. A ses visiteurs, il offrait sans un mot, un bol de thé, et l'on sentait qu'il était tout entier, corps et esprit unis, dans cette offrande.